La Série "Palettes" d'Alain Jaubert fête ses 30 ans!
En choisissant des œuvres phares de la culture occidentale, la série « Palettes » raconte dans chaque épisode l’histoire d’un tableau. En un mot, sa généalogie. Chaque film dissèque une œuvre, de sa composition la plus visible à la plus profonde.
Alain Jaubert
Alain Jaubert a été marin avant d’être journaliste scientifique à La Recherche et au Nouvel Observateur puis chroniqueur de musique classique à Libération. De 1990 à 1993, il a produit le magazine Les Arts et de nombreuses émissions pour Océaniques sur France 3, tout en enseignant à l’Ensad (École nationale supérieure des arts décoratifs). Écrivain, il a publié de nombreuses nouvelles, plusieurs essais sur les images (en particulier celles des pouvoirs totalitaires), la peinture, Casanova ou Turner. Aux Éditions Gallimard, il a publié deux essais, Palettes et Lumière de l’image, et deux romans, Val Paradis, récompensé par la bourse Goncourt du premier roman en 2005, et Une nuit à Pompéi, en 2008. D’autres romans suivront, en alternance avec des essais.
Réalisateur de nombreux films documentaires pour l’INA et France 3, il est l’auteur de la collection « Palettes » produite et diffusée entre 1989 et 2003 sur Arte et dans le monde entier. Dans cette célèbre série de cinquante documentaires qui ont marqué l’histoire du film sur l’art, il prend le contrepied du discours classique et questionne non plus l’histoire d’un peintre ou d’un courant artistique, mais celle d’un tableau.
Miracle dans la loggia
Transportons-nous au XVe siècle et imaginons l'intérieur de l'atelier du peintre Jan Van Eyck : un porteur livre un panneau de bois, un assistant passe les poudres à la meule, un autre les mélange à de l'huile de lin, un troisième les dispose sur les palettes. C'est dans cet univers que Jan Van Eyck a pu peindre La Vierge au chancelier Rolin, un tableau de petites dimensions qui met en scène la Vierge Marie assise sur un coussin bleu brodé d'or, portant l'enfant Jésus sur ses genoux et faisant face à un homme d'une soixantaine d'années qui joint les mains en un geste de prière.
De nombreux indices prouvent qu'il s'agit de Nicolas Rolin, ministre des Finances, homme de politique et de culture, l'un des premiers mécènes de son temps. Grâce à l'infrarouge, nous découvrons les secrets de la toile : ainsi, une bourse attachée à la ceinture du chancelier a été effacée : Rolin ne tenait sans doute pas à ce qu'apparaisse ce symbole de sa richesse.
Composé comme un rébus, mettant en scène de nombreux figurants et déployant des espaces complexes, La Vierge au chancelier Rolin est un des plus beaux tableaux de Van Eyck.
Les Théâtres du soleil
Un port éclairé par le soleil couchant dans une ville de style italien. Sur la gauche, un petit temple surmonté d'une horloge. Au second plan, une grande villa Renaissance et ses quatre tours d'angle. Sur la droite, à l'abri du fortin, un grand bassin montre une rangée de tartanes. Au premier plan, une grève où deux navires sont au mouillage. Partout autour du port, des personnages déambulent, se rassemblent, discutent. Haut placé, le point de vision suppose un spectateur se tenant au-dessus de la scène. Un effet de perspective est obtenu par la convergence des lignes vers une zone proche du centre. Couleurs, espacement des objets, éclairage rasant et perspective des architectures, tout concourt à produire une puissante illusion de profondeur. Le soleil bas engendre de nombreuses combinaisons de couleurs et transforme les rapports entre les teintes habituelles des objets. Claude Gellée, dit Le Lorrain, peignait en superposant de nombreux glacis jusqu'à l'obtention des tons pâles caractéristiques de l'éclairage crépusculaire. Après lui, les peintres oseront enfin regarder le soleil en face. Turner puis les impressionnistes en feront le thème central de leurs tableaux. A l'aide de la palette graphique et des trucages vidéo, Alain Jaubert nous dévoile tous les dessous de la toile, son histoire, les intentions du peintre et les moyens techniques employés.
Le Grain de la lumière
La caractéristique première de l'œuvre de Vermeer est l'assimilation de sa perspective à une vision photographique. Tout mène à penser qu'il a eu recours à la caméra obscura pour obtenir les grandes lignes et les perspectives de ses toiles, mais l'utilisation de cet ancêtre de l'appareil photographique n'est qu'une des facettes de la peinture de Vermeer.
Le Dessous des cartes
"Trois cartes en main, de l'or, nous sommes au milieu d'une partie de prime, un ancêtre du poker. Huit pièces d'or devant la joueuse, une douzaine devant le jeune homme, on joue très gros. Ce tableau met en scène trois joueurs de cartes et une servante, les bouches sont closes. Les gestes et les regards suspendus. Le tricheur regarde le spectateur, un as de carreau dissimulé dans sa ceinture, seul son visage est en pleine lumière. Ses cartes de carreau annoncent argent et commerce sexuel, alors que celles de son adversaire, des cartes de pique, le malheur et la lutte contre le destin. À l'époque de la Tour, plusieurs édits furent lancés contre les pipeurs de dés et les fraudeurs. Cette toile, comme celle de La Diseuse de bonne aventure, est l'illustration d'une sentence très courante à l'époque : "L'amour, le vin et le jeu ont perdu plus d'un homme."
Restée dans l'ombre pendant plus de deux siècles, l'œuvre de Georges de la Tour fut longtemps attribuée à d'autres. C'est en 1915, grâce à un critique allemand, que l'on découvrit réellement le peintre. Si certains croient que Le Tricheur est un faux, "c'est peut-être parce qu'il s'agit d'une image improbable, excessive. Trop de couleur, trop de lumière, trop de romanesque", conclut Alain Jaubert.
Sous les pavés, l'image
Alain Jaubert débusque les détails, interprète les symboles, analyse la composition. Pourquoi ces polémiques à la présentation du tableau en 1831 ? Est-ce la nudité de cette femme armée ? Ou le peuple triomphant dans une mise en scène réaliste ?
La Gloire de la chair
En 1630, Rubens, installé à Anvers, épouse en deuxième noce Hélène Fourment. Dans l’immense atelier qu’il a fait construire, il peint divers portraits d’Hélène : au jardin, à la fourrure, au carrosse, qui sont minutieusement analysés ici.
Car il ne se contente pas de faire de simples portraits mais tente de mettre en scène celle que ses admirateurs avaient comparée à l’Hélène homérique et de transcrire, sous forme allégorique, tous les signes de la féminité.
Admirable Tremblement du temps
Au cours de ses dernières années à Rome, Nicolas Poussin exécute pour le duc de Richelieu quatre tableaux évoquant les saisons.
Considérée comme le testament pictural du peintre, cette série est l'aboutissement d'un art techniquement maîtrisé, véritable synthèse de tous les éléments du style tardif de l'artiste, mais où pointent les symptômes de l'âge et de la maladie, visibles dans la touche tremblée et minuscule. Fidèle au chromatisme des Vénitiens, Poussin module des jeux de couleur surprenants, en rapport étroit avec le sens de chaque tableau. Les Quatre Saisons, c'est aussi les quatre phases de Rédemption, les quatre parties de la journée, les quatre âges de l'histoire des hommes et, surtout, quatre épisodes de la Bible ("Printemps : le Paradis terrestre" ; "Été : rencontre entre Ruth et Booz" ; "Automne : grappe de raisin rapportée de la Terre promise" ; "Hiver : le Déluge").
Les différentes interprétations thématiques de cette suite révèlent une étroite synthèse entre le récit biblique et la mythologie classique. Mais Poussin résume tout son savoir de peintre et laisse éclater une sorte de panthéisme virgilien. Une fois de plus, Palettes explore et révèle les secrets de cette série complexe et emblématique à l'aide des instruments d'analyse les plus modernes.
Miroir des paradoxes
Dès ses premiers tableaux, Rembrandt se met en scène. Par la suite, au moins une centaine de fois, il prendra son visage comme unique sujet de gravure, de dessin ou de peinture.
Une pareille obstination, unique dans le domaine de l'histoire de l'art, a été très diversement interprétée. Certains des autoportraits de Rembrandt pourraient passer pour l'expression d'un homme extravagant. Mais les objets qui y figurent peuvent être souvent décryptés d'une tout autre façon. À travers toiles et panneaux, on peut certes suivre toute l'histoire du visage de Rembrandt, mais aussi lire toute la symbolique d'une Europe humaniste en pleine mutation.